Józef  BURY

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"La recherche photographique de Bury expérimente sur la peau du monde, que notre regard ne caresse qu'avec des cadences inhabituelles, celles de la période initiale de la photographie. Dans cet étonnant matériel visuel, on peut saisir la quantité de la nébuleuse aqueuse, la portion de la matière-temps nécessaire à la stabilisation de la marée. Relativement à ce laps de temps choisi, certaines trajectoires des moments internes du système thermodynamique mer-air-terre s'estompent et d'autres se stabilisent dans une famille d'apparitions aptes à créer des phénomènes résistants, d'autres encore attendent toujours leur paramètrage opportun. Ce monde commence en deçà de 1/24-ème de seconde, et s'il n'est pas rendu cinétique dans la représentation, par les mécanismes de capture du mouvement, ou fractionné par les temps photographiques rapides, laisse un dépôt que Bury prélève à différents endroits. C'est ainsi que l'on peut voir le temps du niveau de la mer, le temps de l'horizon, le temps de la rigidité de la digue."

Extrait de :
M. SOBIESZCZANSKI "
La peau du monde - Photographies de Jozef Bury". Æ-N - Ezine : Université de Rouen, 1996.

"Ce que ces oeuvres nous donnent à voir, ce sont de vastes étendues nébuleuses, fragmentées par des masses géométriques ou par de sombres diagonales bunker ou digues de béton avançant dans la mer. Est-ce bien la mer? Résultat d'une période d'exposition de plus de 40 minutes, la facture des images vient mettre en doute la réalité du sujet photographié. Nous ne sommes plus en présence de la mer; car nous ne percevons pas le mouvement ondulatoire des vagues, ce n est pas non plus le souvenir de la mer puisque aucune réminiscence n'est appelée à notre esprit. Il s'agirait plutôt d'une mémoire dissimulée dans les tiroirs du temps. Seul persiste un épais brouillard nuancé de quelques taches blanches laissées probablement par le vol d'un oiseau. Etrange amnésie de l'instantanéité de l'acte que cette anamnèse qui évoque un passé indéchiffrable."

Extrait de:
Sylvette BABIN "Via l’art vivant en réseau - Le silence de l'acte", EssE arts + opinions (n°35), Montréal, 1998, pp. 22-43.

"Face à la réalité des phénomènes de la nature, le dispositif d’enregistrement, doté d’une surface sensible, est pensé également en termes de réalité. Le matériel photosensible a en effet son propre cycle d’exposition lumineuse, avec un parcours donné de sa courbe caractéristique, il réagit jusqu’à un certain moment, puis sa capacité sensible s’estompe - les rayons qui ont attaqué sa surface devant toujours, dans leurs effets ultérieurs, percer les couches qui ont déjà été irradiées. Après un certain temps, il ne réagit plus comme précédemment. Cette réalité là a sa propre capacité de mémoire et de restitution de cette mémoire. /…/

Dans ce face-à-face du réel au réel, où le temps est un composant essentiel, apparaît alors une capacité de la nature de produire son double, son image ou sa trace, selon l’interprétation, en tout cas une capacité de mémoriser le temps de la confrontation de façon spécifique. Mon rôle consiste à manipuler le degré de l’auto-révélation de cette réalité. Cette expérience, dans son ensemble, inclut également ma propre présence face à cette révélation et l’interaction de ma propre perception du réel. /…/

Malgré les conditions optimales de développement du négatif et de sa restitution sous la forme d’un tirage positif, sans aucun effet supplémentaire ni optique ni chimique, le résultat visuel reste parfaitement imprévisible. Le très long temps de pause, ainsi que les différents régimes de mobilité des phénomènes air-mer-terre, empêchent une prise de vue au sens habituel du terme. /…/

Mais, tout d’abord, le fait est que dans le temps qui s’est écoulé pendant la prise de vue, s’est déposé ce dont je connaît l’existence. La conscience de ce fait force à suspendre, en quelque sorte, la réalité perçue, puisque je sais qu’il y en a en même temps une autre, pour un autre dispositif, qui mémorise également le réel et ensuite donne des résultats différents des miens. /…/

La compréhension de ce décalage est essentielle. Si j’énonce que je produis une attitude, c’est précisément pour admettre, pour un moment, l’écartement de ma propre connaissance du monde. Si je ne le faisais pas, cela aurait déclenché toute une série de manipulations (comme le choix de la focale, le réglage du diaphragme, la mise au point) pour privilégier certains plans et en effacer d’autres. Tout cela se fait lorsque l’on possède une connaissance de l’objet photographié, que l’on sait en quoi il est intéressant et en quoi il ne l’est pas. Ici, je suspends cette connaissance là et ce qui est intéressant ressort, précisément, après. /…/

C’est ce décalage que je lis sur les photos. Mais il y a davantage. Finalement, seul le décalage est intéressant. Mais il n’est alors pas uniquement visuel. Observons bien : sur la photo apparaissent des formes, et je dirai même les formes signifiantes. Mais dans ma perception, après avoir vécu l’expérience, je bénéficie bien d’un savoir, j’anticipe l’apparition des formes, mais qui ne sont pas visuelles. Je sais mon propre savoir, je sais également ce qui s’est déposé dans l’appareil, mais la réalité a subit ici une modification. Les deux processus co-axiaux temporairement et spatialement, révèlent leurs différences. Ma présence perceptive a immédiatement rangé les données du moment dans un savoir sur l’objet, et les données qui ressemblaient à une photographie ont changé radicalement de statut. Désormais, ce sont des connaissances. Le temps est très important dans cette transformation. D'abord, il y a la présence sensible, pleine, passant par tous les sens, mais il y a ensuite la création de l’image mentale, qui n’est plus une connaissance visuelle. Il y a bien des formes dans l’image mentale, il y a bien des qualités, que l’on pourrait comparer ensuite avec l’orignal mais, justement, avec quel étalon du réel ?"

Józef Bury, extraits de :
SOBIESZCZANSKI, M. Les artistes et la perception – Entretiens avec Z. Dlubak, J. Bury, E. Riveiro et B. Caillaud. Paris : L’Harmattan (col. "L’art en bref"), 2000. 98 p.

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